dimanche 8 septembre 2024

États-Unis : La Tragédie des Opioïdes !

Aux États-Unis la Tragédie des Opioïdes aggravée par un système de santé défaillant, montrent les Dérives d'une Société Matérialiste qui a perdu le Sens de la Vie et de sa Spiritualité Divine ! 


Amy Greene, directrice exécutive du Collège Sciences, Humanités et Société de l’université Paris Sciences et Lettres et enseignante à Sciences Po Paris, publie aujourd’hui aux éditions Tallandier un ouvrage qui dresse un sombre tableau de la société états-unienne. 
Dans "L’Amérique face à ses fractures", la politiste met en évidence les multiples failles – politiques, économiques, sociales, culturelles… – d’un pays profondément désuni. 
Une lecture indispensable pour bien comprendre les États-Unis d’aujourd’hui, dont nous vous proposons ici un extrait consacré au fléau de la toxicomanie aux opioïdes – un fléau qu’un système de santé profondément inégalitaire ne parvient pas à endiguer, au contraire même.

La tragédie des opioïdes ! 
"Maman dit que même nous, les enfants, ne sommes pas une raison suffisante pour arrêter les [opioïdes]." (Christian Robinson
Entre addictions, overdoses et décès qui s’ensuivent, force est d’admettre que la crise des opioïdes s’impose désormais comme un fléau dans le paysage social et sanitaire des États-Unis. 
Depuis près de dix ans, la consommation massive des opioïdes est devenue un facteur central de la chute de l’espérance de vie. 
Depuis 2000, plus d’un million d’Américains sont morts d’une overdose, dont les trois quarts sont imputables aux opioïdes. 
En 2019, l’Amérique a compté 50.000 morts à cause d’eux, soit sept fois plus que le nombre de militaires américains tués dans les deux guerres en Irak et en Afghanistan confondues. 
Un an plus tard, alors que sévissait la pandémie de Covid-19, ce nombre grimpait à 70.000, avant de passer à 80.000 en 2021
Tous les jours, 220 Américains succombent aux opioïdes. 
Or le problème de l’addiction dépasse largement le nombre de personnes qui en meurent. 
Plus de 1,7 million d’Américains ont une addiction aux opioïdes en lien avec les médicaments antidouleur prescrits légalement, et plus de 650.000 autres souffrent d’une addiction à l’héroïne

L’épidémie des opioïdes est coûteuse à tous points de vue : économique, social, en termes de santé et de politiques publiques.  
Les opioïdes sont responsables d’un pic dans les taux d’incidence du VIH et de l’hépatite du fait du partage des seringues servant à s’administrer des substances illégales
Le poids économique annuel est considérable et croissant pour le pays. 
L’Agence fédérale pour le contrôle des maladies (Centers for Disease Control and Prevention) l’a chiffré : les conséquences de l’addiction aux opioïdes ont coûté plus de 1.500 milliards de dollars en 2020
L’émergence de cette crise est due en premier lieu à la prescription légale des opiacés par les médecins : d’abord dans les années 1990, pour les patients ayant subi un traitement anticancéreux, puis au début du XXIe siècle, quand se sont libéralisées les prescriptions médicales touchant à la gestion de la douleur. 
En effet, recourir aux médicaments – notamment les opioïdes – était moins coûteux pour les patients qui n’avaient pas les moyens de s’offrir d’autres médecines alternatives comme la kinésithérapie, l’ostéopathie ou l’acupuncture. 
Les compagnies pharmaceutiques ont mené des campagnes d’incitation forte – pour ne pas dire de pression – auprès des médecins pour les encourager à prescrire, par exemple, de l’oxycodone ou de la morphine, tout en minimisant les interrogations concernant leur efficacité et surtout les risques d’addiction.

La consommation croissante des opioïdes légaux a été aggravée par la diffusion de leurs formes illégales – comme l’héroïne – qui sont, dans les années 2010, devenues très accessibles et relativement peu chères : le prix de l’héroïne a chuté des deux tiers depuis les années 1980. 
Des versions synthétiques comme le fentanyl – surnommé la "mort manufacturée" – ont démultiplié les dégâts en raison de leur extrême puissance (cinquante fois celle de l’héroïne) et, là encore, de leur accessibilité légale et illégale. 
Si le fentanyl peut être prescrit par les médecins comme antidouleur, les overdoses se produisent le plus souvent lorsqu’il est mélangé à d’autres substances comme la cocaïne ou l’alcool. 
Le pic de l’utilisation illégale des opioïdes suit de près le taux d’incidence des prescriptions légales. 
La boucle mortifère est alors bouclée : les patients ayant reçu des opioïdes par voie médicale légale en deviennent immanquablement des addicts. 
Leur prescription étant insuffisante pour assouvir leur addiction, ils recourent à l’héroïne et au fentanyl par voie illégale.

Les overdoses liées aux opioïdes font partie de ce que les économistes Anne Case et Angus Deaton appellent des "morts de désespoir". 
Selon eux, ce désespoir est induit par une série de facteurs exogènes, tels que le déclin d’opportunités d’emploi, la stagnation des salaires et le sentiment de déclassement qui en découle. 
Cela provoquerait chez les Blancs issus de milieux plutôt défavorisés une tendance à recourir à ces drogues, jusqu’à en mourir. 
Les Blancs représentaient sept décès sur dix liés à une overdose d’opioïdes en 2020, et très majoritairement les hommes (sept décès sur dix également) et les jeunes entre 20 et 59 ans (plus de huit décès sur dix). 
Le facteur de l’éducation intervient également, puisque neuf morts par overdose sur dix n’avaient pas de diplôme universitaire : entre l’abandon du lycée et la poursuite de quelques semestres d’études supérieures, les Américains souffrant d’une addiction aux opioïdes ont très majoritairement connu de près l’échec scolaire. 
Ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, s’ils s’adonnent à la drogue, ont plus de chances d’en mourir que leurs concitoyens plus aisés financièrement.

Les décès par opioïdes sont plus fréquents dans les États fédéraux, souvent ruraux, dans lesquels le niveau de pauvreté est élevé. 
Si aucun espace du pays n’est épargné, certains États connaissent en effet une hausse rapide des cas létaux : la Virginie-Occidentale, le Tennessee, le Kentucky, l’Arkansas, le Mississippi, l’Alabama, la Caroline du Sud. 
Vulnérables parmi les vulnérables, les enfants payent le prix fort de cette crise, le plus souvent comme victimes collatérales et invisibles des addictions de leurs parents. 
En premier lieu, ils sont de plus en plus touchés in utero. 
Entre 2010 et 2017, le nombre de nouveau-nés subissant des symptômes de sevrage a augmenté de plus de 80%. 
Parmi les près de neuf millions d’enfants américains qui vivent avec au moins un parent souffrant d’une toxicomanie, près d’un quart ont un parent addict spécifiquement aux opioïdes
Dans une étude de 2017 non actualisée à ce jour, plus de la moitié de ces plus de 2,2 millions d’enfants vivaient encore avec un parent addict ; 325.000 avaient été retirés de la garde de leurs parents ; 240.000 avaient perdu un parent à cause d’une overdose ; 170.000 avaient ingéré accidentellement des opioïdes ou étaient eux-mêmes devenus addicts ; 10.000, enfin, avaient un parent incarcéré pour une longue durée en raison de crimes commis sous l’emprise des opioïdes.

L’exposition des plus jeunes à cette crise implique des coûts sociaux potentiellement désastreux à court et à long terme. 
Les addictions des adultes plongent leurs enfants dans une épreuve de la précarité, de l’incertitude et du trauma qui dépasse largement leurs capacités à faire face. 
Ce faisant, de fait, ils détruisent petit à petit les perspectives de leur progéniture. 
Comparativement aux enfants vivant à l’abri des opioïdes, ceux d’addicts ont 300% de chances de plus d’être arrêtés par la police, 200% de connaître la dépression, 70% d’être obèses et 60% de fumer. 
Enfin, ils sont, à 300%, plus susceptibles de sombrer à leur tour dans l’alcoolisme et la toxicomanie.
Un système de santé inégalitaire et défaillant

Comment le système de santé américain réagit-il à cette situation qui fragilise dramatiquement l’équilibre d’ensemble de la nation, en même temps qu’il fracasse le rêve américain ? 
Pour répondre à cette question, il faut d’abord rappeler la spécificité hybride de son organisation. 
À la différence des autres pays industrialisés et riches, les États-Unis n’ont pas mis en place de système de couverture universelle. 
Cela signifie que le gouvernement Fédéral ne fournit pas de services médicaux à l’ensemble de ses citoyens ou à ses visiteurs. 
Par conséquent, tout service de soin est payant. 
Le système d’assurance maladie est un mélange de programmes privés et publics. Les programmes publics – Medicare, Medicaid et l’assurance enfants (Children’s Health Insurance Program) – sont accessibles à certaines populations vulnérables, mais ces programmes ne couvrent que 30% de la population. 
Environ 70% des Américains sont couverts par une assurance privée de qualité variable subventionnée – au moins partiellement – par leur employeur. 

Les personnes qui ne bénéficient pas de cet avantage doivent acheter elles-mêmes une assurance privée individuelle, dont les cotisations varient en fonction de l’âge et des conditions de santé préexistantes. 
Pour ces assurances privées, les franchises, les tickets modérateurs et les frais de consultation sont jusqu’à trois fois plus élevés que dans le marché subventionné
Ce système compliqué laisse environ 42 millions d’Américains (soit plus de 13 % de la population) sans couverture médicale. 
Ces laissés-pour-compte du système de santé se soignent dans des cliniques à but non lucratif ou dans les urgences hospitalières, où il est interdit de leur refuser l’accès – et nombreux parmi eux se passent totalement de soins médicaux. 
Le niveau de la dépense américaine liée à la santé est considérable. 
Les États-Unis consacrent dans ce domaine bien plus que tout autre pays membre de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), et la charge de cette dépense – en y incluant l’argent public et l’argent privé – ne cesse d’augmenter. 
En 2021, l’Amérique y consacrait 18% de son PIB, ou 4.300 milliards de dollars (près de 13.000 dollars par habitant). Le coût par personne a quadruplé entre 1980 et 2020.

Mais ces dépenses exceptionnelles ne se traduisent pas par des résultats exceptionnels en termes de santé publique. 
Parmi les pays membres de l’OCDE, les États-Unis sont les derniers de la classe en termes d’espérance de vie à la naissance et ils sont en tête sur les taux de mortalité infantile et maternelle, sur le nombre de personnes souffrant de multiples maladies chroniques, sur le nombre de personnes obèses et sur le taux de suicide. Ces tristes records concernent au premier chef ceux qui bénéficient le moins d’une couverture médicale. 
Si le système de santé américain est particulièrement performant en matière de structures de soins, de programmes de recherche et d’innovation et dispose de professionnels de la santé de très haut niveau, ces privilèges ne sont pas accessibles à l’ensemble de la population. 
La qualité et l’accès au soin varient considérablement d’une région à l’autre, notamment en raison des facteurs socio-économiques et des conditions sociogéographiques. 
Tous les groupes ethno-raciaux ne sont pas assurés et donc pas soignés de la même manière : les Noirs, les Hispaniques et les Amérindiens sont systématiquement sous-assurés par rapport aux Blancs

Cet extrait est issu de "L’Amérique face à ses fractures", 
d’Amy Greene. Éditions Tallandier ! 

Les Américains sont de plus en plus accablés par le coût exorbitant des soins eux-mêmes, devenu facteur majeur d’endettement individuel, et pas seulement dans les foyers les plus modestes. 
Si les Américains sans assurance maladie (le plus souvent en raison d’une incapacité de la payer) sont certes plus exposés au risque d’accumuler des dettes médicales, la charge financière pèse également sur ceux qui ont les moyens de s’assurer
À ce jour, il n’existe pas d’estimation confirmée ni du nombre exact d’Américains endettés pour faits de maladie, ni du montant global de cette dette, mais plusieurs études scientifiques s’accordent à considérer que le niveau de cette dernière est croissante et contraint les familles à faire des choix de désespoir. 
Selon la très sérieuse fondation de la Kaiser Family, plus de 100 millions d’Américains (soit 41% de la population adulte) – avec et sans assurance médicale – ont une dette médicale s’élevant de 500 à plus de 10.000 dollars
Un adulte sur cinq pense qu’il mourra sans l’avoir épongée.

Pour rembourser cette dette accompagnée d’intérêts élevés, les Américains utilisent souvent des cartes de crédit (type American Express), faute de liquidités suffisantes. 
Leur incapacité à payer ensuite la facture de la carte – avec son propre taux d’intérêt très élevé – les fait entrer dans un cycle vicieux d’endettement. 
Pour avoir fait ce calcul inévitablement perdant, ces Américains voient d’autres postes de dépenses de leur vie quotidienne atteints : détenir une dette sur une carte de crédit rend en effet bien plus difficile l’obtention de prêts bancaires pour s’acheter une maison ou une voiture par exemple. 
Les Américains tentent tout : laisser des factures impayées, épuiser leurs économies personnelles et familiales, changer de logement, renoncer à l’achat de nourriture et reporter leurs études universitaires, entre autres choix. 
Chaque année, 530.000 Américains s’effondrent sous le poids de cette dette et, pour ce motif, déclarent leur faillite individuelle : ils engagent une procédure juridique pour faire reconnaître leur incapacité totale à rembourser leurs dettes et leur manque de solutions pour générer suffisamment de revenus afin de s’y employer. 

Amy Greene : 
https://theconversation.com/etats-unis-la-tragedie-des-opio-des-aggravee-par-un-systeme-de-sante-defaillant-235484