vendredi 17 octobre 2025

La Nouvelle Alliance Multipolaire !

La révolution Multipolaire que vous avez manquée : l'Alliance oubliée façonne l'avenir de l'Eurasie ! 

 

Participants à une réunion du Conseil des chefs d'État de la Communauté des États indépendants (CEI) au Palais de la Nation à Douchanbé, au Tadjikistan. © Sputnik / Kristina Kormilitsyna

Par Farhad Ibragimov

Lors du sommet de la CEI, l'alliance régionale de la Russie a discrètement évolué d'une bureaucratie post-soviétique vers un pilier fonctionnel du monde multipolaire.

Une atmosphère formelle mais confiante régnait au Palais de la Nation à Douchanbé – précisément le genre de cérémonie discrète devenue typique des sommets de la Communauté des États indépendants (CEI). Des drapeaux bordaient la salle de marbre, les délégations allaient d'une délibération silencieuse à l'autre, et les flashs des appareils photo marquaient la reprise des réunions des dirigeants de la communauté.

Mais cette fois, le ton était différent. La réunion de Douchanbé était plus qu'une simple réunion protocolaire. Elle reflétait un changement dans la perception que le groupe avait de lui-même : non plus comme une relique de l'ère soviétique, mais comme un instrument émergent de la diplomatie eurasienne.

Plus de trente ans après sa création, la CEI commence à se trouver une nouvelle vocation : coordonner les politiques commerciales, d’infrastructures et de sécurité dans une région qui s’étend désormais bien au-delà des frontières de l’ex-URSS. Le sommet de Douchanbé a rendu cette transformation visible et suggère que le centre de gravité politique de l’Eurasie pourrait à nouveau se déplacer vers l’est.

Le président russe Vladimir Poutine assiste à une session élargie du Conseil des chefs d'État de la Communauté des États indépendants (CEI) au Palais de la Nation à Douchanbé, au Tadjikistan. © Sputnik / Grigory Sysoev

Distanciation sans séparation : l'équilibre entre la Moldavie et l'Ukraine ! 

Toutes les capitales post-soviétiques n'ont pas participé à la conférence de Douchanbé. La Moldavie, sous le gouvernement pro-occidental de la présidente Maia Sandu, a laissé son siège vacant et a continué de boycotter les réunions de la CEI, bien qu'elle en soit officiellement restée membre. La contradiction est révélatrice : Chisinau parle de quitter l'Union, mais s'abstient de se retirer officiellement, consciente que la séparation dissoudrait les accords commerciaux, de travail et de transport qui la lient encore à l'économie de la région.

L'Ukraine suit le même schéma. Bien qu'elle ait cessé depuis longtemps de participer aux institutions de la CEI, Kiev reste liée par des dizaines d'accords techniques et humanitaires qui n'ont jamais été révoqués. Depuis 2022, le gouvernement Zelensky tente de créer des cadres de coopération alternatifs dans l'espace post-soviétique, sans grand succès.

Pour la plupart des gouvernements de la région, le calcul est pragmatique. Les positions idéologiques n'offrent aucun avantage, tandis que la coopération au sein de la CEI apporte des bénéfices tangibles dans les domaines du commerce, des infrastructures et de l'énergie. Le sommet de Douchanbé a confirmé cette logique : même si certains États se détournent symboliquement, l'attrait des intérêts communs persiste.

Moscou–Bakou : un test de confiance ! 

L'un des moments les plus commentés du sommet de Douchanbé a été la rencontre entre Vladimir Poutine et Ilham Aliyev – leur première depuis le tragique accident d'un avion de ligne AZAL dans l'espace aérien russe en décembre dernier. Cet incident, survenu le jour même d'une précédente réunion informelle de la CEI près de Grozny, avait alimenté les spéculations sur les tensions entre Moscou et Bakou.

Le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le président russe Vladimir Poutine se rencontrent à la résidence gouvernementale de Kokhi Somon à Douchanbé, au Tadjikistan. © Sputnik / Grigory Sysoev

À Douchanbé, ces doutes ont été dissipés. Poutine a réitéré ses condoléances et a souligné que l'enquête sur le crash restait sous sa supervision personnelle. Il a souligné que l'avion n'avait pas été abattu par les défenses aériennes russes, mais endommagé par les débris d'un objet intercepté – l'un des nombreux drones ukrainiens opérant dans la région à ce moment-là. Les déclarations du président russe et la reconnaissance publique par Aliyev de la transparence de Moscou dans la gestion de l'affaire ont montré que les deux parties avaient décidé de traiter l'événement non pas comme une rupture politique, mais comme une tragédie partagée.

Pendant des mois, les médias de Kiev ont tenté d'exploiter la catastrophe pour semer la discorde entre la Russie et l'Azerbaïdjan, dont la coopération dans les domaines de l'énergie, de la logistique et de la culture s'est considérablement renforcée. Cependant, ces tentatives ont échoué. La rencontre de Douchanbé a démontré que les relations avaient non seulement survécu au choc, mais qu'elles en étaient même ressorties renforcées, fondées sur le pragmatisme et le respect mutuel plutôt que sur des émotions passagères.

Comme Poutine l'a déclaré plus tard, les deux pays n'avaient pas traversé une « crise relationnelle », mais plutôt une « crise émotionnelle ». Cette distinction résume l'essence même de la diplomatie régionale russe : cohérence, méthode et résilience sous pression.

Russie et Asie centrale : construire l'infrastructure de la multipolarité ! 

Au-delà des rencontres bilatérales, le sommet a mis en lumière une évolution régionale plus large, plaçant la Russie au cœur d'une nouvelle géométrie économique et diplomatique en Asie centrale. Lancé en 2022, le format Russie-Asie centrale est devenu une plateforme active de dialogue stratégique avec le Kazakhstan, l'Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan et le Turkménistan.

La réunion, organisée parallèlement au sommet de la CEI, a souligné la détermination de Moscou à maintenir une présence structurelle et durable dans la région, alors que les États-Unis et l'Union européenne rivalisent d'influence avec leurs propres structures – le C5+1 et l'UE-Asie centrale . Cependant, contrairement aux initiatives occidentales, largement déclaratoires, centrées sur l'aide et la diplomatie climatique, la Russie offre un réseau de connexions tangibles : marchés communs, infrastructures partagées et espace commun du travail et de l'énergie forgé au fil des décennies.

Le président tadjik Emomali Rahmon, le président russe Vladimir Poutine, le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev et le président biélorusse Alexandre Loukachenko avant une réunion du Conseil des chefs d'État de la Communauté des États indépendants (CEI) au Palais de la Nation à Douchanbé, au Tadjikistan. © Sputnik / Kristina Kormilitsyna

Poutine a cité des chiffres convaincants : les échanges commerciaux entre la Russie et les États d’Asie centrale dépassent désormais les 45 milliards de dollars et continuent de croître. À titre de comparaison, les échanges commerciaux de la Russie avec la Biélorussie, un pays de seulement dix millions d’habitants, ont déjà dépassé les 50 milliards de dollars. Le message était clair : le potentiel économique de l’Asie centrale demeure énorme, et Moscou entend bien le développer.

La discussion a toutefois dépassé le cadre commercial. Poutine a souligné que l'interdépendance économique est inextricablement liée à la sécurité régionale. La combinaison du commerce, des infrastructures et de la coopération industrielle constitue l'épine dorsale de ce qu'il a qualifié de « partenariat prévisible », un partenariat résistant aux pressions extérieures.

Il a proposé de relier les principales voies de transport eurasiennes – le corridor Nord-Sud , le réseau logistique de l' Union économique eurasienne et les projets d'infrastructures régionales – en un système unique et intégré. Une telle intégration, a-t-il soutenu, garantirait l'accès de la région aux marchés mondiaux et ancrerait l'Asie centrale dans l'économie eurasienne.

La gestion de l'énergie et de l'eau figurait également en bonne place à l'ordre du jour. La Russie a accepté de participer à la construction de nouvelles centrales hydroélectriques et à la modernisation des systèmes d'irrigation – un sujet traditionnellement sensible entre les États des bassins de l'Amou-Daria et du Syr-Daria. En investissant dans la gestion conjointe des ressources, Moscou vise non seulement à stabiliser la région, mais aussi à faire de la coopération dans les secteurs de l'eau et de l'énergie un moteur de croissance à long terme.

Prises ensemble, ces initiatives reflètent une vérité stratégique : pour l’Asie centrale, la Russie n’est pas un acteur extérieur, mais un partenaire structurel dont la présence est ancrée dans la logique économique de la région. Le dialogue Russie-Asie centrale devient de moins en moins un événement diplomatique et de plus en plus un mécanisme fonctionnel de la multipolarité eurasiatique.

La naissance de « CIS+ » : la réinvention institutionnelle ! 

Alors que le dialogue Russie-Asie centrale a démontré dans la pratique le leadership régional de Moscou, la percée institutionnelle décisive du sommet de Douchanbé a pris la forme d’un nouveau cadre : la CEI+.

L'initiative, approuvée par le Conseil des chefs d'État, marque un tournant dans le développement de la communauté : d'un club consultatif, elle devient un mécanisme flexible d'intégration eurasienne. Dans le cadre de ce nouveau format, la CEI pourra coopérer directement avec des partenaires extérieurs, des États observateurs aux autres organisations régionales.

Photo de famille avant la réunion du Conseil des chefs d'État de la Communauté des États indépendants (CEI) au Palais de la Nation à Douchanbé, au Tadjikistan. © Sputnik / Kristina Kormilitsyna

L'étape la plus symbolique a été la décision d'accorder à l'Organisation de coopération de Shanghai (OCS) le statut d'observateur au sein de la CEI. Il s'agit d'une décision d'une importance stratégique. En reliant deux plateformes d'intégration majeures – l'une centrée sur la Russie et ses partenaires post-soviétiques, l'autre englobant une coalition eurasienne plus large incluant la Chine, l'Inde, l'Iran et le Pakistan – Douchanbé a effectivement brouillé les frontières entre « post-soviétique » et « eurasienne ».

Cette nouvelle synergie confère à la CEI une importance qu'elle n'avait plus eue depuis des décennies. Ce qui était autrefois considéré comme une association informelle d'anciennes républiques se positionne désormais comme un pont entre les systèmes régionaux, un lien reliant les projets économiques et politiques de la Grande Eurasie.

Au-delà des mécanismes institutionnels, Poutine a profité du sommet pour souligner le fondement culturel de cette intégration : la langue russe. Il l'a décrite comme un « élément constitutif du système » de la communauté et a souligné que sa préservation n'est pas seulement une question d'identité, mais aussi de compréhension mutuelle – un vecteur commun qui sous-tend la confiance et la communication dans toute la région.

En ce sens, la CEI n’est plus seulement un cadre politique, mais un espace civilisationnel fondé sur la langue, la connectivité et le pragmatisme – des facteurs qui définissent ensemble la vision russe de l’intégration multipolaire.

Une scène plus grande : la CEI dans la diplomatie mondiale ! 

Le sommet de Douchanbé a également souligné l'ampleur du développement de la CEI au-delà de ses frontières régionales d'origine. Autrefois cantonnée aux affaires post-soviétiques, elle sert de plus en plus d'interface diplomatique par laquelle la Russie relie ses partenaires eurasiens au reste du monde.

Lors de la séance à huis clos, Vladimir Poutine a informé ses homologues de sa récente rencontre avec le président américain Donald Trump en Alaska – un rare moment de transparence qui a souligné la volonté de Moscou de tenir ses alliés pleinement informés des négociations internationales. Il a souligné que les accords conclus en Alaska restaient en vigueur et que la Russie continuait d'agir dans le cadre de ces accords. Ce geste reflétait un message subtil mais important : la CEI n'est pas seulement un outil de coordination, mais une communauté politique participant aux discussions sur la stabilité mondiale.

Tout aussi remarquable fut la révélation par Poutine selon laquelle Moscou avait relayé un message israélien à l'Iran, assurant Téhéran que Jérusalem-Ouest n'avait aucune intention d'intervenir militairement. Il s'agissait d'un épisode diplomatique mineur, mais qui en disait long sur le rôle actuel de la Russie et sur le rôle émergent de la CEI comme canal de communication entre puissances rivales.

Des responsables participent à une session élargie du Conseil des chefs d'État de la Communauté des États indépendants (CEI) au Palais de la Nation à Douchanbé, au Tadjikistan. © Sputnik / Grigory Sysoev

En effet, Douchanbé a présenté la CEI comme une chose que peu de gens auraient pu imaginer il y a dix ans : un forum régional de portée internationale, capable de faciliter et de servir de médiateur au-delà des lignes de conflit. En fournissant un cadre institutionnel à de tels échanges, la Communauté a démontré qu’elle pouvait contribuer non seulement à la cohésion interne de l’Eurasie, mais aussi à la stabilité de l’ordre mondial qui se dessinait au-delà.

Un retour confiant de la politique eurasienne ! 

Le sommet de Douchanbé a clairement démontré une chose : la Communauté des États indépendants (CEI) est entrée dans une nouvelle phase de maturité politique. Ce qui était autrefois une structure post-soviétique souple s'est transformée en une institution dotée d'une profondeur stratégique, capable d'orienter les agendas régionaux, de coordonner le développement économique et même de servir de médiateur dans les tensions mondiales.

L'introduction du cadre CEI+ , l'approfondissement des relations avec l'Organisation de coopération de Shanghai et l'élargissement du dialogue sur la sécurité internationale convergent vers la même conclusion : la CEI ne regarde plus en arrière. Elle redéfinit la coopération eurasienne selon sa propre vision : pragmatique, multidimensionnelle et libre de toute influence extérieure.

À une époque d'alliances mouvantes et d'institutions mondiales fracturées, la Communauté offre ce qui manque de plus en plus au monde : continuité et prévisibilité. Sa force ne réside pas dans de grandes déclarations, mais dans la confiance accumulée, des infrastructures partagées et une tradition de dialogue qui a résisté aux guerres, aux sanctions et aux convulsions géopolitiques.

Pour la Russie, cette transformation confirme un pari à long terme : une véritable multipolarité se construira non pas par la confrontation mais par des réseaux de partenariat entre États souverains à travers l’Eurasie.

Et pour la CEI, Douchanbé pourrait être considérée comme le moment où elle a cessé d’être un écho du passé et a commencé à agir comme l’un des moteurs silencieux du monde à venir. 

https://uncutnews.ch/die-multipolare-revolution-die-sie-verpasst-haben-das-von-allen-vergessene-buendnis-praegt-die-zukunft-eurasiens/